Lettre ouverte à nos ami.e.s : contre l’extrême droite au pouvoir
Nous faisons l’expérience, ou nous avons fait l’expérience de ce que signifie l’extrême droite au pouvoir. Nous vivons au Brésil, en Inde, aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Argentine, en Hongrie, en Pologne, en Italie, en Finlande, en Turquie, en Autriche, aux Pays-Bas, en Israël, en Russie ou encore en Slovaquie. D’autres parmi nous ne vivent pas dans un pays gouverné par l’extrême-droite, mais nous avons vu les conséquences dévastatrices de ses politiques sur nos alliés et partenaires les plus proches.
Nous savons donc le prix qu’il faut payer quand la haine et le repli sur soi en viennent à gouverner. Nous savons malheureusement trop bien qu’une fois l’extrême droite au pouvoir, il est trop tard pour faire marche arrière. L’alternance reste bien entendu possible, mais elle est incertaine, longue et difficile à construire. D’autant plus que les dirigeant.e.s d’extrême droite font peu de cas de la démocratie: elles et ils utilisent ses règles en leurs faveur et détournent celles qui leurs sont défavorables. L’extrême droite n’est jamais fair-play. Les exemples sont nombreux de coups d’État ou de tentatives de coups d’État menés par des dirigeant.e.s initialement démocratiquement élus. Le propre de la droite dure, c’est qu’elle ne recule devant aucune provocation, qu’elle n’hésitera jamais à enfreindre la constitution ou à renier les libertés, même les plus fondamentales, pour préserver ses intérêts.
Au pouvoir, la droite extrême mène une politique méthodique de destruction de tout ce qui nous protège, quand elle ne détruit tout simplement pas les vies. D’abord, celles des plus faibles, de celles et ceux qu’on ignore ou stigmatise; les vies de celles et ceux qui ne sont pas sous la lumière, qui vivent en périphéries ou dans les marges. En tant que français.e.s, vous avez très probablement grandi en étant convaincu.e.s que votre démocratie, que vos institutions sont suffisamment solides pour vous préserver du pire et pour vous protéger de ce que d’autres ont vécu ailleurs. Nous en avons fait et, pour certain.es, en faisons encore l’amère expérience : rien n’est plus faux. Aucune institution, aucun régime ne peut vous prévenir du pire. Ne croyez pas que la démocratie est acquise, garantie pour toujours. Elle peut disparaître, presque du jour au lendemain.
Ne vous laissez pas non plus tenter par l’idée, en apparence romantique, que l’extrême droite au pouvoir aurait au moins une vertu : celle de réveiller les citoyen.ne.s et de permettre l’émergence d’un vaste front de résistance. Nous en avons fait l’expérience. Plus un virus se propage, moins les anticorps sont nombreux. Vivre sous la droite dure est épuisant, et laisse très peu d’espace et de temps pour s’organiser, pour se mobiliser et pour résister. Et surtout, toutes et tous n’y survivraient pas.
Nous savons votre colère, en particulier contre votre gouvernement actuel, et beaucoup d’entre nous la partagent. Peut-être que certain.e.s d’entre vous sont tenté.e.s de transformer cette colère en un vote sanction, et qui pour cela seraient prêt.e.s à voter pour le Rassemblement national. C’est une erreur terrible, que nous vous exhortons à ne pas faire. Peut-être que d’autres sont refroidis à l’idée de soutenir un rassemblement de la gauche, contre l’extrême droite, car telle ou telle position vous apparaît insupportable. Nous vous comprenons – mais si l’extrême droite est défaite, vous aurez la possibilité de vous mobiliser, de vous organiser pour peser. Si elle gagne, vous n’aurez plus que vos yeux pour pleurer.
Vous finirez par le regretter amèrement – et vous risquez d’entraîner avec vous le chaos. Les corps noirs, bruns et indigènes en ont payé le prix, parfois de leur vie. Les femmes, et toutes les personnes qui ne se reconnaissent dans aucune catégorie binaire, seront en danger. L’antisémitisme, l’Islamophobie, le racisme, le validisme, la haine et la violence déferleront et finiront par vous menacer tou.te.s. La droite dure fait peu de cas de l’urgence climatique, et contribuerait à nous précipiter un peu plus dans le mur.
À celles et ceux qui croient que l’extrême droite freinera le tout-profit, nous souhaitons rappeler que partout, l’extrême droite est l’alliée du libéralisme le plus débridé. À celles qui pensent que les conflits diminueront, ou a minima, qu’ils ne concerneront plus votre pays : vous vous trompez. L’extrême droite au pouvoir, c’est la garantie que les conflits se multiplieront et s’intensifieront. Ailleurs, dans le monde, l’extrême droite au pouvoir, ce sont des guerres, des atrocités, voire un génocide, comme à Gaza : une fois qu’elle est au pouvoir, le pire est toujours possible.
Certes, les dirigeant.e.s d’extrême droite ne cessent de répéter qu’ils n’ont en tête que notre intérêt. Ils prétendent être à notre service et entendent nous redonner le contrôle, après des décennies au cours desquelles nous avons été petit à petit dépossédé.e.s de notre capacité à peser sur le cours de nos vies. Il s’agit là d’un des plus grands mensonges de notre époque, qui ne doit son succès qu’aux fake news, et aux manipulations de l’opinion sur les réseaux sociaux. Comme vous, nous sommes désespéré.e.s de constater l’incurie de la plupart de nos dirigeant.e.s.
Nous sommes déterminé.e.s à reprendre le contrôle de nos vies, pas à pas. Pour cela, nous nous tenons à vos côtés, et ferons notre possible pour vous soutenir au cours des semaines qui viennent pour éviter le pire.
Nous sommes avec vous, derrière le Front Populaire qui se lève, pour faire vivre l’espoir d’une société juste et apaisée.
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Open Letter to Our French Friends: Against the Far Right
We have experienced, or are experiencing, what it means to live under a far right government. We are from Brazil, India, the United States, the United Kingdom, in Argentina, Austria Hungary, Poland, Italy, Finland, Turkey, Israel, Russia, in the Netherlands, or Slovakia. Some of us do not live in a country governed by the far right, but we have seen the dire impact of its policies on our closest allies and partners.
We know the cost of letting hatred and isolation rule. Tragically, we understand all too well that once the far right takes power, it is not easy to turn back. While it is in theory possible to change back, it is uncertain, lengthy, and difficult to achieve. Far-right leaders show little regard for democracy: they use its rules to their advantage and twist those that work against them. The far right never plays fair. There are countless examples of coups or coup attempts by leaders who were initially democratically elected.
The hallmark of the hard right is that it never shies away from provocation, nor hesitates to violate the constitution or revoke fundamental freedoms to preserve its interests.
When it rules, the far right systematically destroys institutions that protect us – and will use absolute fear and violence, including to outright end lives. Itbegins with the weakest, the ignored, the stigmatised; those who live in the shadows, on the fringes. As French citizens, you may have grown up convinced that your democracy and institutions are robust enough to shield you from the worst and protect you from what others have endured elsewhere, from what we have endured or are enduring. We have learned, and some of us are still learning the bitter truth: nothing could be further from reality. No institution, no regime can prevent the worst. Do not believe that democracy is a given. It can collapse almost overnight.
Do not be seduced by the seemingly romantic notion that the far right in power might at least awaken citizens and create a massive front of resistance. Many of us have lived out that experiment. The more an infection grows, the less antibodies are in the system. Living under the hard right is exhausting and reduces space and time to organise, mobilise, and resist. Not everyone will survive.
We understand your anger, particularly towards your current government, and many of us share it. Some of you might be tempted to channel this anger into a protest vote, even willing to vote for the Rassemblement national. This is a tragic mistake, one we urge you not to make. Perhaps others are not thrilled by the idea of supporting a large alliance of the left, against the far right, because you’re at odds with some of their positions. We understand – but if the far right is defeated, you will have the opportunity to mobilise and organise to make impact. If they win, you’ll be left with nothing but tears.
You will end up regretting it bitterly – and you risk dragging chaos along with you. Black, brown, and indigenous bodies have paid the price, sometimes with their lives. Women, and all those who do not fit into binary categories, will be in danger. Antisemitism, Islamophobia, racism, ableism, hatred, and violence will surge and eventually threaten all of you.
The hard right has little regard for the climate crisis and would push us further toward disaster. To those who believe that the far right will curb the unlimited search for profit, we remind you that everywhere, the far right is the ally of the most unbridled capitalism. To those who think conflicts will slowly disappear, or at least not affect your country: you are mistaken. The far right in power is the guarantee that conflicts will thrive and intensify. Elsewhere in the world, the far right in power means wars, atrocities, even genocide, as in Gaza: once it is in power, the worst is always possible.
Certainly, far-right leaders repeatedly claim to have only our interests at heart. They pretend to serve us and promise to give us back control after decades of being gradually stripped of our ability to influence our lives. This is one of the greatest lies of our time, which only works thanks to fake news and manipulation of public opinion on social media.
Like you, we are dismayed by the incompetence of most of our leaders. We are determined to take back control of our lives, step by step. For this, we stand by you and will do our utmost to support you in the coming weeks to avert the worst.
We are with you, behind the rising « Front Populaire » (the transpartisan left alliance), to keep alive the hope of a just and peaceful society.
Bill McKibben, USA
Naomi Klein, Canada
Daniel Hunter, USA
Mitzi Jonelle Tan, Philippines
Lindsey Wuisan, the Netherlands
Anna Leitner, Austria
Claudio Angelo, Brazil